Science-abuse

La science des films et des jeux-vidéos

#12 : Le Jour d'après, ou pourquoi la réalité pourrait être bien pire…

Mardi 30 juin 2015

Par Timo van Neerden

Le film catastrophe de 2004 « Le Jour d'après » montre ce qui se passe si le niveau de CO2 est trop élevé. Dans le film, à cause du réchauffement climatique, c’est le détachement d’un énorme bloc du pôle nord qui va aller dérégler les courants marins et provoquer une ère glaciaire sans précédent sur le monde.

Ici, tout se passe en l’espace de quelques mois, ce qui est bien-sûr très exagéré : en réalité, ça prendrait des milliers d’années. Néanmoins, un changement dans les courants marins pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le monde, notre civilisation, voire sur la vie toute entière.

Dans cet article, je rassemble quelques hypothèses sur les éventuelles conséquences d’un changement dans les courants marins, en prenant comme base l’histoire géologique : ce genre de phénomène a en effet déjà eu lieu…

the iced earth

Les courants marins : le Gulf-Stream


Le Gulf-Stream, c’est le courant océanique nord atlantique, sûrement le plus connu des grands courants marins. La source de ce courant, son moteur, c’est la différence de températures et de salinité (et donc de densité) des eaux : les eaux froides et salées, plus denses, coulent au fond des océans et génèrent des déplacements de masses d’eau.

Pour le Gulf-Stream, l’eau froide et salée se trouve sous le pôle nord : la glace est constituée d’eau douce : le sel se retrouve donc plus concentré dans l’eau qui n’a pas gelé. Ajouté à cela le phénomène de gyre océanique (un tourbillon d’eau massif, lent, de la taille d’un continent et dû à la force de Coriolis) dans l’atlantique nord contribue aussi au Gulf-Stream.
L’eau sous le pôle nord coule donc et le vide créé au dessus va attirer des masses d’eau plus chaudes venues des régions tropicales.

Ce courant véhicule une énorme quantité de chaleur tropicale vers le pôle nord : c’est grâce à lui que le climat nord européen est beaucoup plus doux que celui de certaines régions du Canada, pourtant situées aux mêmes latitudes.
Si ce courant s’arrêtait, l’un des effets serait donc une diminution de la température moyenne en Europe de l’ouest.

Dans le film, un iceberg de la taille de New York se détache du pôle nord et se met à fondre : ce rapide apport d’eau douce va diluer le sel et rétablir l’équilibre dans la salinité de l’eau : le moteur qui anime le Gulf-Stream n’est plus efficace et le Gulf-Stream s’arrête : tout le climat s’en trouve rapidement déréglé, conduisant à une ère glaciaire catastrophique.

Tout ceci n’est pas irréaliste : le réchauffement actuel du climat fait fondre les pôles à un rythme plus ou moins alarmant. On pense, d’après des relevés, que le Gulf-Stream va devenir moins puissant avec le temps, même si son arrêt complet est peu probable.
La différence majeure avec ce qui est présenté dans Le Jour d’Après c’est la durée sur laquelle le changement se passe : il est impossible que les courants marins s’arrêtent en l’espace de quelques semaines.

Par ailleurs, ceci n’est que le début d’un bouleversement géologique majeure.


Un effet indirect du Gulf-Stream


le sulfure d'hydrogène
On a vu que les courants marins régulent le climat mondial par le transport de chaleur de l’équateur vers les régions polaires, contribuant ainsi à une meilleure répartition de la chaleur : les tropiques sont moins chaudes et les pôles plus doux que ce qu’ils ne devraient être sans ces courants.

Un autre effet notable, c’est tout le remous au sein des masses d’eau océaniques : les eaux de surfaces sont sans cesse brassées avec de l’air, et s’enrichissent en oxygène. Quand ces eaux finissent par plonger, elles apportent de l’oxygène dans les profondeurs : ceci permet à la vie sous-marine d’exister.

Certaines zones dans les océans sont ainsi complètement mortes : ces régions ne remuent pas assez l’eau entre les différentes couches océaniques et le taux d’oxygène y est beaucoup plus bas qu’ailleurs : la vie sous-marine y est impossible pour un grand nombre d’espèces.

En fait, les seuls organismes qui peuvent y vivre sont les organismes anaérobiques : ils n’ont pas besoin d’oxygène pour vivre car ils tirent leur énergie dans d’autres molécules que nous.
Ce genre d’organisme vit ainsi au fond des océans, mais aussi dans votre estomac et dans d’autres milieux où l’oxygène n’est pas présent.

Vu que ces organismes ne respirent pas, ils ne rejettent pas de CO2, mais d’autres produits : l’un d’eux est le sulfure d’hydrogène H2S, un gaz extrêmement toxique et à l’odeur caractéristique d’œuf pourri (molécule dans l’image ci-dessus).

Heureusement pour nous, ces organismes anaérobiques font partie de la chaîne alimentaire et sont mangés par des prédateurs.

Maintenant, devinez ce qui se passerait si ces prédateurs disparaissaient, à cause de l’arrêt de l’oxygénation de l’eau par les courants marins ?


L’exemple de l’extinction Permien-Trias : un « Rube-Goldberg » cataclysmique


une ville détruite par un cyclone
L’extinction Permien-Trias, c’est l’extinction massive qui a eu lieu juste avant les dinosaures, il y a 252 millions d’années. La Terre a connu quatre autres extinctions massives, mais celle-ci est de loin la plus violente.

La cause pourrait être un réchauffement climatique dû à une éruption volcanique majeure dans une zone où le sol contenait d’importantes quantités de charbon. Ce charbon provenait d’arbres morts qui se sont transformés en charbon et en pétrole avant qu’il n’y ait sur Terre des organismes capables de décomposer la cellulose.
Les volcans ont projeté dans l’air des quantités immenses dioxyde de carbone et d’autre gaz rendant les pluies acides et détruisant toute la végétation.

Les animaux herbivores terrestres et marins se sont retrouvés sans nourriture et finissaient par mourir également. La décomposition de tous les restes organiques aurait alors généré des quantités énormes de méthane : le gaz de ville, qui est non seulement inflammable, mais aussi un très puissant gaz à effet de serre destructeur de la couche d’ozone. Sans couche d’ozone, les rayons solaires nocifs finirent par détruire une grande partie du peu de vie restante…

Ce n’est pas tout : le réchauffement climatique induit par l’effet de serre aurait complètement déréglé les courants marins naturels. C’est là que les organismes anaérobiques auraient pris le dessus : n’ayant plus de prédateurs (tous mort par l’absence d’oxygène), ils ont pris possession des océans tout en rejetant des quantités importantes de H2S.
Ce gaz toxique aurait alors achevé la plupart des espèces vivantes qui avaient survécu tous les problèmes précédents, dans les océans et sur terre.

Lors de cette extinction très brutale, 95% des espèces marines et 70% des espèces terrestres disparurent. Au total, plus de 9 espèces sur 10 ont disparues de la surface de la Terre en l’espace de seulement 4 millions d’années (pour échelle : les plus anciens australopithèques datent de 7~10 millions d’années).
On estime que la planète a mis une centaine de million d’années pour s’en remettre.

Durant la centaine de millions d’années qui a suivie, les organismes consommateurs de H2S ont, du fait de l’abondance subite de ce produit, proliféré et la vie a pu reprendre un peu son cours.


L’extinction Permien Trias est une combinaison d’événements tels que le volcanisme, des gaz à effet de serre, la destruction de la couche d’ozone, de l’arrêt des courants marins et du développement de la vie anaérobique sous-marine, où tous ces phénomènes sont liés telle une machine de Rube-Goldberg.


Pourquoi je note tout ça ?
Parce que plusieurs des effets possibles de la plus grande extinction que la vie terrestre a connue sont actuellement en train d’être produites aussi : la couche d’ozone est abîmée, des quantités de CO2 dépassant de plusieurs ordres de magnitude le CO2 volcanique est jeté dans l’air, la destruction de l’équilibre entre les espèces animales (notamment marines…), des pluies acides…

Tout ceci n’est pas étranger à notre planète. Le seul hic, c’est que les autres fois où ces effets étaient là, combinées, 90% des espèces vivantes ont été éradiquées à jamais.

En fait, le réchauffement climatique suivi d’une ère glaciaire comme dans le film ne serait que le début du scénario d’un film bien plus long.


Un exemple de courant marin altéré


cyclone vu depuis l’espace
Il y a quelques millions d’années seulement, l’Afrique saharienne était une forêt tropicale. À l’autre bout du globe, des effets de la tectonique des plaques ont permit à l’isthme du Panama de se former, bloquant alors le courant marin permettant aux eaux de l’Atlantique et du Pacifique de communiquer.
Le bouleversement constitué par la disparition du courant inter-océanique a provoqué l’apparition de nouveaux courants marins, dont le Gulf-Stream.

Quelques temps après, la mer méditerranée, jusqu’alors complètement sèche, s’est ouverte sur l’océan Atlantique des suites de mouvements tectoniques : il a suffit de seulement quelques mois pour que la région deviennent une mer, remplie par l’océan. Partout ailleurs, le niveau des océans a baissé de façon significative.

Tous ces effets ont rendu le climat subsaharien plutôt instable : de forêt à désert, les alternances sont nombreuses et il y a encore 5900 ans, c’était un endroit humide…

L’une des conséquences de l’assèchement de l’Afrique il y a quelques millions d’années est que les singes, habitués aux forêts hautes ont dû évoluer pour s’adapter à la transformation de la forêt en savane. L’une des évolutions était la bipédie, nécessaire pour voyager entre les arbres devenus plus épars. Ceci libéra alors les membres supérieurs qui peuvent alors servir à utiliser des os ou des pierres pour faire des outils… C’est le début de la pré-histoire humaine.

Si on résume, on voit que sans une activité géologique en Amérique Centrale et en méditerranée, les singes d’Afrique n’auraient jamais évolués en hommes. Tout est donc lié, dans la nature, et il suffit de changer un paramètre pour provoquer un énorme bouleversement.


Conclusion


Ce film est un film de plus sur les conséquences du réchauffement climatique.
L’histoire de la Terre nous apprend que la Terre est passée des différentes ères plus ou moins chaudes qui ont pour certaines provoquées des extinctions de plus de 90% des espèces vivantes. La Terre a elle, survécu.

Le film manque cependant de montrer la véritable ampleur de l’effet « Rube-Goldberg » que peut engendrer un petit changement dans l’écosystème. La nature et la planète sont fragiles, et l’homme même avec des actions insoupçonnées peut modifier de façon vaste toute la nature. Cette vidéo en est un exemple parmi d’autres, avec l’introduction de quelques loups à Yellowstone, dont la conséquence est un vaste changement dans le paysage de toute une région.

Aussi, l’homme ne rejette pas juste du CO2, et il n’y a pas de raisons de penser que le réchauffement climatique soit la seule chose dont il faille se préoccuper. On ne sait pas forcément encore tous les effets que notre espèce a sur cette planète et sur la biodiversité, au delà des pré-occupations énergétiques ou économiques, mais une chose est indubitable, c’est qu’il y a des effets qu’on ne voit pas forcément.

Enfin, terminons sur une pensée concernant le réchauffement climatique : si vous pensez que 3°C d’augmentation de la température par rapport à la normale n’est rien du tout, alors imaginez vivre vous aussi avec 40°C de fièvre toute l’année : ça ne serait pas glorieux, n’est-ce pas ?

Quelques références : Gulf Stream (Wiki), Arrêt de la circulation thermohaline (Wiki), L’histoire de la méditerranée, la grande extinction élucidée, un épisode de Cosmos: A Spacetime Oddisey.